mercredi 28 décembre 2011

Rencontre


La nuit est noire, ou plutôt non, la nuit est blanche. Un blanc laiteux, un blanc absorbant le paysage, la route et même la nuit.

A l'intérieur de l'habitacle, seule la petite lumière bleue et clignotante du GPS installé sur le téléphone du père sait où ils sont. Enfin, ils l'espèrent.

"Il dit qu'il faut tourner à droite.

- A droite? Mais, je ne vois pas de route! Ah si! La voilà.Tu es sure que c'est par là? On ne voit aucune maison!

- De toute façon, on ne voit rien! Sur le guide, ils mettent que c'est éloigné du village."

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Cela fait une demi-heure que je dors. Je dors d'un sommeil harassé. Ce n'est plus de mon âge, de sortir le soir... Et puis, j'ai trop mangé, même s'il faut avouer que le cheese cake de Mary était un vrai délice.... Et ce brouillard! J'ai presque failli louper l'entrée de ma maison!

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La veille, leur livre de voyage leur avait indiqué deux lieux où ils pourraient poser leurs sacs à Bellingen

"Regarde, ce bed and breakfast a l'air sympa. C’est le Gracemere Grange. Il est à l’extérieur de la ville. Ils disent qu’il abrite des chambres douillettes à l’étage, aménagées sous le toit en pente, avec lucarnes pour admirer la canopée.

-Note l’adresse et le numéro de téléphone, on appellera demain. Note aussi le numéro du motel, s’il n’y avait pas de place dans le premier.



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J’ai quand même eu un peu de mal à m’endormir. J’ai toujours un peu de mal à m’endormir quand ma maison est vide… Avant, il y avait Brice et les enfants. Mais l’un est parti trop tôt et trop loin et les autres ne remplissent que trop rarement la maison de leurs bruits.



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A l’intérieur de la voiture, ils sont quatre : deux adultes, le père et la mère et deux enfants. Ils sont fatigués.

« Quand est-ce qu’on arrive ?

-        Je veux dormir dans mon  lit ! »

Ils sont partis tôt ce matin, très tôt. Ils ont roulé, roulé jusqu’à ce qu’au réveil des enfants. Petit déjeuner et baignade pour affronter une éternité de kilomètres ; 100 ; 200 ; 300…

Le sable était accueillant, l’océan agréable, le soleil enfin présent après une absence de plusieurs jours. Ils se sont baignés. Ils ont joué. Le temps a passé.

Ils ont téléphoné à nouveau au bed and Breakfast. Ils ont prévenu qu’ils arriveraient tard.

« Pas de problème ! On ne sera plus là, mais on laissera la porte d’entrée ouverte. Vous n’aurez qu’à entrer et vous installer dans la chambre 25. »



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Je n’ai jamais pu m’habituer à ce vide sonore, à cette solitude acoustique. Depuis trois ans, ma maison est devenue un bed and breakfast. Je l’ai appelée la Gracemere Grange.

J’aime accueillir les voyageurs pour une, deux ou trois nuits. Le soir, dans mon lit, j’écoute leurs bruits, je les écoute s’endormir. Certains se tournent et se retournent cherchant à attraper un sommeil qui se dérobe. D’autres toussent ou grincent des dents. Certains soupirent. J’en ai même entendu un qui riait aux éclats juste avant de sombrer.
Ces bruits m’apaisent, me bercent.


Mais aujourd’hui, aucun appel pour réserver un lit. Les chambres demeurent silencieuses.



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« Ca y est ! Regarde, c’est là ! C’est bizarre, tout est éteint !

-Je vais voir.

- …

- La porte n’est pas fermée, comme elle l’avait dit, mais elle n’avait pas parlé de deux chiens !

-Deux chiens ?

- Oui des lévriers. Ils ont l’air sympas, mais…

- Je veux pas entrer dans cette maison, maman, j’ai peur. Et si

les gens nous prenaient pour des voleurs et nous tiraient dessus.

-        N’ai pas peur. C’est ici, c’est la bonne adresse. Et puis, tu vois bien, ils ont laissé la porte ouverte comme ils l’avaient dit. Ils ont juste oublié de laisser la lumière allumer.

-        Bon, je vais voir si je trouve la chambre 25. Attendez-moi dans la voiture. »

Le père pénètre dans la maison. Les deux chiens assoupis sur le canapé ont à peine relevé la tête. A la lueur d’une lampe torche, il découvre la cuisine et une longue table prête à accueillir les bols du matin.

Un escalier. Il hésite. Mais les chambres sont à l’étage, peut-être la numéro 25. Il gravit les marches. Une, deux, trois portes.  Toutes sont ouvertes. Toutes donnent sur une chambre. Aucune ne porte  de numéro.



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Pas si silencieuse en fait. Ce son qui peine à me sortir de mon sommeil n’est pas celui de quelqu’un qui s’endort. Non, cela ressemble à un murmure. Le murmure des pas de Mike ou de Jordan, quand ils rentraient tard et ne voulaient pas nous réveiller, leur père et moi.

Mais mes deux fils sont à Sydney.




« Qu’est ce que vous faites là ?

-Heu, je vous prie de m’excuser, je suis bien au Gracemere Grange ?

-Oui.

- Je suis vraiment désolé de vous avoir réveillé. On est la famille française. On vous a téléphoné pour réserver une chambre.

-Je n’ai eu aucun appel aujourd’hui.

- Je ne comprends pas. Votre numéro de téléphone est bien le 02 6657 2016 ?

- Ah non ! Ce numéro est celui du motel du village.

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J’écoute leurs respirations. Le garçon a toussé deux fois. Le bruit des draps que l’on repousse mêlé à un soupir, puis plus rien. Rien que leurs quatre respirations qui s’emmêlent puis s’apaisent.

Ma maison a retrouvé un souffle. Je vais pouvoir m’endormir.

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Juste un petit texte sans prétention littéraire, qui relate une expérience que nous avons réellement vécue (Bon, j'ai un peu imaginé ce que la dame pensait)  juste pour vous montrer comment les Australiens que nous avons rencontrés sont accueillants, même quand on les réveille.


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